RENCONTRES SUCCULENTES AU YÉMEN, À LA RECHERCHE DU PHOENIX…
En 2009, l’Université de Murcie en Espagne, m’a confié une mission dans le but de glaner un maximum d’informations sur Phoenix caespitosa, un palmier extrêmement rare, connu seulement en Somalie et au Yémen. J’ai ainsi pu explorer l’unique vestige de forêt existant encore en Arabie, mais également diverses zones désertiques où j’ai pu m’en donner à cœur joie dans l’observation des plantes succulentes et même de quelques cactus. Un moment fort en découvertes botaniques que je vous invite à partager…
Couvrant environ 528 000 km² au sud-ouest de la Péninsule arabique, le Yémen est un pays couvert de déserts au climat austère. C’est une région très montagneuse, à peu près aussi grande que la France. Les quelque 26 millions d’habitants issus de tribus diverses sont répartis en 21 gouvernorats, mais ils se concentrent principalement dans la capitale, Sana’a, située à 2 200 m d’altitude, qui accueille une population supérieure à 2 millions de personnes.
Le Yémen conserve ses traditions d’antan
C’est un pays magnifique doté d’une histoire et d’une culture complexes, qui fait bouscule le visiteur en le faisant passer brutalement et à tout moment de l’ère médiévale à la plus grande modernité. Sur les toits de masures en terre, fleurissent des antennes paraboliques, tandis que les femmes demeurent de simples ombres, comme depuis les premiers temps de l’Islam.
Autre contraste surprenant, les hommes conservent toujours la jambiya, ce poignard traditionnel à lame recourbée, bien à côté du plus récent smartphone qui complète sans complexe la panoplie du parfait Yéménite.
Une nature extrême, entre déserts et vallées verdoyantes
Les déserts de dunes sont assez nombreux, avec des formations typiques de dunes parallèles dont le graphisme s’apprécie mieux vu du ciel. L’érosion intense modèle le paysage de cicatrices profondes et gigantesques.
À haute altitude, l’humidité provoque une froide condensation qui fait descendre les nuages jusqu’au niveau des hautes vallées. L’eau s’y concentre et permet la croissance de la végétation ce qui permet la pratique de l’agriculture, l’une des principales ressources. Ce contraste étonnant aux images fortes constitue ma première approche avec le Yémen.
Une sorte de fusain stimulant et euphorisant
Lieu obligé des visites touristiques au Yémen, le « Rock Palace » de Wadi Dhar, est aussi une manière de plonger dans une autre culture plus… agricole. Je veux parler du qat ou khat (Catha edulis), un arbuste de la famille des Celastraceae (comme le fusain), devenu un véritable fléau social. C’est une drogue locale quotidiennement présente dans la vie des Yéménites qui mâchent des feuilles fraîches à longueur de journée, ingurgitant ainsi de la cathinone et de la cathine aux effets psychotropes avérés.
Quelques plantes succulentes pour connaisseurs
Le palace bâti au sommet d’un rocher, exprime à la fois le pouvoir et la richesse réservés à quelques sultans d’hier et d’aujourd’hui. Passant inaperçu pour le commun des mortels, mais provoquant une intense émotion chez les succulentophiles, la floraison d’Euphorbia ammak, décore le palais forteresse de son imposante présence.
Plus discrète, mais n’échappant pas à mes yeux perçants de chercheur de trésors botaniques, Kleinia odora (Asteraceae) est présent aussi bien dans l’enceinte du palace que tout au long de la route qui y mène. C’est un buisson étalé aux tiges cylindriques très ramifiées, terminées par des fleurs jeunes un peu échevelées.
Phoenix caespitosa, un palmier rarissime
Le site d’exploration où j’ai été envoyé pour étudier Phoenix caespitosa se nomme Jabal Bura. Ce palmier au tronc court, qui pousse en touffes à proximité des oasis ou des sources souterraines, développe des palmes pouvant mesurer 3 m de long. Il n’est plus présent que sur deux sites, dont l’autre s’avère impossible à visiter en raison d’une forte menace terroriste dans la région.
L’Université de Murcie réalise depuis plusieurs années un travail sur le genre Phoenix, et il manque énormément d’informations sur l’espèce P. caespitosa. J’ai donc eu la chance d’observer cette espèce rare, de fournir de nouvelles données végétatives et de rapporter du matériel utile à l’étude globale du genre.
Phoenix caespitosa a été décrit et nommé en 1929 par le botaniste italien Emilio Chiovenda (1871-1941). Il a pour synonyme Phoenix arabica.
Premières observations de plantes succulentes
Dans les ruelles de la vieille ville, des succulentes sont déjà présentes, avec l’arbre à encens de la péninsule arabique Boswellia sacra (Burseraceae) et même des cactées puisque l’on y vend les fruits d’Opuntia dillenii.
Mes accompagnateurs obligés, à savoir chauffeur et traducteur, ont affrété un véhicule apte à transporter les kilos d’autorisations destinées à tous les contrôles auxquels nous serons obligatoirement soumis.
Au sortir de Sana’a, à Suq al Samil, les montagnes sont couvertes d’Euphorbia cactus et de sa superbe variante Euphorbia cactus v. aureovariegata qui possède des dessins très caractéristiques. Ces plantes sont accompagnées de l’omniprésent Kleinia odora, et même de figuiers de Barbarie (Opuntia ficus-indica). Fait également partie de cette communauté végétale : Euphorbia inarticulata.
Autre Euphorbiacée très intéressante, Jatropha spinosa, qui croît dans des zones ouvertes rocailleuses, nous fait la grâce de ses fleurs et de ses fruits. À cet endroit, on peut aussi observer Fagonia indica (Zygophyllaceae), Barleria spinicyma (Acanthaceae) qui porte bien son nom, et un superbe petit buisson à fleurs rouges : Hibiscus deflersii (Malvaceae).
Des plantes très variées qui aiment les cailloux
Sur des terrains très divers, mais spécialement caillouteux, on trouve presque partout dans cette région, Aloe vacillans, qui fait beaucoup penser à Aloe vera. Chose curieuse, il existe une forme à fleurs rouges qui accompagne celle à fleurs jaunes de manière quasi systématique. À part la couleur des fleurs, il est difficile de trouver une différence.
Kleinia odora est à nouveau de la partie, accompagné de Sarcostemma viminale une Asclépiadacée (désormais Apocynaceae, mais je ne m’y fais toujours pas !) lianiforme à port rampant ou retombant, très commune chez les collectionneurs de succulentes. Cette plante que l’on rencontre aussi à La Réunion sous le nom de « liane sans feuille », développe des tiges cylindriques, qui portent des fleurs verdâtres très odorantes. Elle se plaît sur les rochers bien exposés.
Rencontre avec deux sansévières très peu courantes
Il existe sur ce site une plante absolument remarquable. Il s’agit de Sansevieria ehrenbergii. Cette Asparagacée, que les Anglo-Saxons appellent la sansévière bleue ou le sisal sauvage d’Afrique de l’Est, forme des touffes assez compactes dont les feuilles dépassent 1 m de haut. La plante croît aussi bien dans la végétation environnante à mi-ombre, qu’en plein soleil dans les cailloux. J’ai eu la chance de pouvoir observer sa jolie floraison blanc verdâtre tout échevelée.
Croissant de manière sympatrique (coexistant dans la même zone géographique), une autre espèce vit aussi dans cette région de forêts : Sansevieria forskaliana, moins spectaculaire que S. ehrenbergii, il faut l’avouer, mais non moins intéressante en raison de la forme concave de ses feuilles souvent glauques.
Des cousins de la vigne assez inattendus
Une autre surprise est la présence d’Adenium obesum dans cette région plutôt favorisée par les précipitations et qui bénéficie d’une végétation verdoyante. Mais il est vrai que le sol est particulièrement drainant.
Il est possible de voir dans les arbres une Vitacée grimpante en pleine forme : Cissus quadrangularis. Cette plante pousse aussi bien sur le sol, parmi les rochers, et même parfois en compagnie d’un congénère avec lequel il partage l’habitat : Cissus rotundifolia, que j’ai également observé dans le nord du Kenya.
Les étoiles malodorantes des Caralluma
Dans ce biotope je soupçonne la présence d’autres plantes très intéressantes dont des Caralluma. Ces ex-asclépiadacées (aujourd’hui Apocynaceae) se caractérisent par l’odeur de putréfaction de leurs fleurs par ailleurs magnifiques. Une puanteur destinée à attirer les mouches qui assurent leur pollinisation.
L’espèce qui se cache ici sous la végétation, mais qui se trouve d’ordinaire en plein soleil est Caralluma quadrangula, mais elle n’est malheureusement pas en fleurs à cet endroit. Je la découvrirai fort heureusement le lendemain à El Dinara en tout début d’épanouissement avec ses corolles jaunes en forme d’étoiles.
Beaucoup plus grande, atteignant facilement 1 m de hauteur, Caralluma penicillata vit en compagnie de l’espèce précédente. Elle fleurit presque en même temps. Il est possible qu’il existe des hybrides naturels, car les mouches qui les fécondent ne sont pas très regardantes. On trouve des semis spontanés dans les crevasses ou au pied des rochers. Quelques pieds en fleurs démontrent une extrême variabilité de la couleur.
Quelques raretés en guise d’apothéose
À El Dinara la flore est principalement composée des faux jumeaux Aloe vacillans. On retrouve également des buissons d’Euphorbia inarticulata et Jatropha spinosa, mais aussi une euphorbe peu facile à trouver qui pousse à cet endroit : Euphorbia cuneata. Elle se caractérise par ses feuilles arrondies à leur extrémité et des fleurs peu visibles, mais superbes.
Beaucoup plus rare à observer dans l’habitat, bien que ce soit l’espèce la plus commune, Rhytidicaulon macrolobum (Apocynaceae) montre des fleurs plutôt discrètes car minuscules et assez sombres. C’est une plante très mimétique, mais vues de près, les corolles sont vraiment extraordinaires et dotées d’une assez grande variabilité.
Toutes ces découvertes succulentes ne me font pas oublier le travail de recherche sur les Palmiers, et je me plais à observer d’autres plantes intéressantes et assez rares, comme Hyphaene nodularia qui fait partie des palmiers poussant bien dans les zones désertiques.
Il me reste désormais à me rendre sur l’île de Socotra, pour continuer mon enquête à la recherche du Phoenix. Je ne sais pas encore qu’en plus du palmier dattier, je pars à la rencontre de l’oiseau légendaire… À suivre…