27/04/2024

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IL FAUT REDÉCOUVRIR LE POIRIER DE BOLLWILLER

Sorbopyrus auricularis

L’histoire de ce fruitier est jalonnée d’une si grande discrétion qu’elle confine presque à la méconnaissance, même en Alsace où la plante est née. 

Naissance d’un hybride.

Les meilleures variétés fruitières sont des hybrides. Mais les hybrides intergénériques sont plus rares. D’abord appelé poirier rouge, ou « rothbirle » le poirier de Bollwiller est né du croisement d’un allouchier, (Sorbus aria) et d’un poirier commun (Pyrus communis), réalisé semble-t-il en 1599 au château de Bollwiller, une petite commune alsacienne située près de Colmar.

Gravure de Poirier de Bollwiller

La première description avec son illustration du poirier de Bollwiller (Pirus polvvilleriana) publiée dans l’ouvrage de G. Bauhin, 1650

Sorbopyrus auricularis

Feuilles et inflorescences de x Sorbopyrus auricularis. Spécimens provenant de l’herbier Émile Walter. ©MAP-Serge Schall

 

La première représentation de la plante se trouve sur une gravure de Gaspard Bauhin datée de 1650, qui le légende Pirus polvvileriana. En 1771, Linné le nomme Pyrus pollweria, mais le pomologue hollandais Johann Hermann Knoop l’a précédé, en 1763, décrivant Pyrus auricularis, en référence à ses deux parents. Aujourd’hui, c’est x Sorbopyrus auricularis, une parfaite synthèse de ses origines, le « x » placé avant, signalant un hybride intergénérique. La plante a été bien diffusée au dix-huitième siècle par les pépinières Baumann, attachée au château de Bollwiller. L’histoire du fruitier et celle de la pépinière sont intimement liées. Comme cette dernière devint la propriété de Rheinhold de Rosen, en 1649, on désigne encore aujourd’hui l’endroit sous le nom de « Domaine de Rosen ».

Chateau Rosen de Bollwiller

Le château Rosen de Bollwiller (Haut-Rhin). Le premier x Sorbopyrus, trouvé dans les environs de Bollwiller, fut planté dans les jardins du château.

 

Un grand poirier

Le poirier de Bollwiller est un arbre de plein vent, de 15 à 20 m de haut, dressant ses branches vers le ciel. Ses feuilles fortement duveteuses lui ont valu le nom de « poirier cotonneux ». Ne ressemblant ni à celles du poirier ni à celles de l’allouchier, elles sont plus proches de celles d’un pommier ou du Sorbus alpina. Entre fin avril et mi-mai, les nombreuses fleurs se rassemblent en petits bouquets denses, qui en comptent jusqu’à une quarantaine. Les fruits piriformes valent à la plante sa dénomination de poirier. De toute petite taille, leur peau jaune rougit franchement sur la face exposée au soleil. La chair jaune  foncé, parfois ponctuée de blanc, ferme, peu savoureuse, est très sucrée et fruitée. Bauhin note que cette variété rappelle les « moscatelles », ces petites poires musquées, déjà décrites par Pline l’Ancien, au début de notre ère.

Fruits de Sorbopyrus

Fruits mûrs de Sorbopyrus récoltés au jardin botanique de l’Université de Strasbourg, le 25 août 2003. © MAP-Serge Schall

Un clone local

La plante s’est rapidement répandue dans les environs de Bollwiller, à Wattwiller et à Masevaux, où des sujets ont été greffés sur des poiriers sylvestres (Pyrus sylvestris). Il est très probable que tous les greffons divulgués à l’époque provenaient d’une seule source, et comme le poirier de Bollwiller est, dans un premier temps, resté inféodé à l’Alsace, on a tout lieu de penser qu’il représente une population clonale et un parfait fruitier régional.

Fruit ouvert de Sorbopyrus

Fruit de Sorbopyrus coupé en deux. ©MAP-Serge Schall

Dommage pour ces petites poires réputées délicieuses, et qui ne sont pas vraiment des poires. Pas plus que le poirier de Bollwiller n’est un poirier, d’ailleurs.

Consolation

À défaut de pouvoir aisément déguster la poire de Bollwiller, on pourra faire connaissance de ‘Sept-en-bouche’ appelée aussi ‘Sept-en-Gueule’, une très ancienne variété. Ses petits fruits, groupés par cinq à sept en bouquets, se dégustaient entièrement, sans être coupés. On se contentait de supprimer leur pédoncule, pour apprécier leur chair fine au goût musqué. Déjà citée dans la littérature du seizième siècle, on pense que les Romains la connaissaient déjà. Il s’agit vraisemblablement d’une variété très proche des «muscadelles » ou « poires de Chio » citées par Pline au 1er siècle. Le plus important écrivain et naturaliste romain note dans son Histoire naturelle, qu’elles possèdent aussi le parfum du musc.

Les autres fruits de Bollwiller

Une autre poire, la ‘Beurré de Bollwiller’, est bien plus connue pour ses qualités gustatives, et la petite ville de tradition pépiniériste est aussi honorée par la célèbre ‘Merveille de Bollwiller’, une belle noisette de gros calibre bien parfumée. Quant à la pomme ‘Reinette de Baumann’, il s’agit d’une obtention de l’arboriculteur belge Van Mons, en hommage à cette famille de pépiniéristes.

Concurrence fatale

Au dix-neuvième siècle, on le plante un peu partout en Europe. En Alsace, dans l’ancien jardin botanique de Strasbourg (détruit pendant la guerre de 1870) ou dans celui de l’École de Pharmacie aux Hospices civils. Il est planté également au Muséum d’histoire naturelle de Paris, en 1834. En Allemagne, en Angleterre, en République tchèque, en Hollande, on peut l’observer dans quelques jardins botaniques, où il n’est jamais cultivé pour ses fruits, conservé en tant que curiosité botanique. Introduit vers 1917 aux États-Unis, il fait partie des plantes retenues par le Programme national des ressources génétiques. L’ex-Yougoslavie a donné le cultivar le plus connu, ‘Shipova’, ignoré chez nous. En le classant parmi les poiriers, on a rendu le pire des services au Sorbopyrus. Au dix-septième siècle, les variétés de poires étaient pléthoriques et toutes loin d’être savoureuses ! Mais la poire était considérée comme aristocratique, par opposition à la pomme, réservée à la nourriture du peuple. Avec l’émergence de très bonnes poires, dont les ‘Beurrées’, aux dix-huitième siècle et dix-neuvième siècle, la petite poire de Bollwiller n’avait aucune chance. À peine née, déjà oubliée, tout comme les poires de pays : ‘Sept-en Bouche’, ‘Étrangle-Vieille’ ou la ‘Poire d’Angoisse’.  Même s’il ne jouera jamais un rôle majeur, on aimerait revoir ce fruitier proposé parmi les variétés anciennes à redécouvrir. Les collectionneurs devraient s’enquérir de greffons dans les rares jardins où on le trouve encore (dont celui de l’Université de Strasbourg) et le greffer pour contribuer à sa sauvegarde.

Feuilles de Sorbopyrus

Corymbe et feuilles de x Sorbopyrus, récoltés au jardin botanique de l’Université de Strasbourg le 25 avril 2003. Spécimen d’herbier M. Hoff 8207. © MAP-Serge Schall

La pépinière Baumann

Le marquis Rheinhold Rosen (1604-1667), retraité malgré lui de l’armée, s’adonnait à l’horticulture pour donner une plus-value au château de Bollwiller. En relation avec les plus habiles jardiniers hollandais, il remarqua Jean Baumann, qui travaillait comme jardinier. Il l’engagea en 1731 et lui confia les jardins de Bollwiller. En 1740, il lui permit d’établir une petite pépinière d’arbres fruitiers sur une large parcelle et de la cultiver pour son compte. Cette initiative marqua la naissance de la première pépinière commerciale d’arbres en Europe. Sa réputation sera portée par plusieurs générations de Baumann, jusque dans les années 1980. En 1760, François-Joseph succéda à Jean et agrandit la pépinière, lui donnant son envergure. En 1784, il publia le « Catalogue des Arbres Fruitiers les plus recherchés et les plus estimés qui peuvent se cultiver dans notre climat », une référence en matière de commerce arboricole. On y trouve 36 variétés de pêches, 10 d’abricots, 29 de prunes, 12 de cerises, 83 de poires et 33 de pommes ! Mais jusqu’en 1788, la poire de Bollwiller en est absente. Au dix-neuvième siècle, la pépinière exporte de la Scandinavie à la Russie, et la notoriété de la famille Baumann s’étend jusqu’au Japon et en Inde. Chaque génération apporte sa pierre à l’édifice. On doit une somme sur les camélias à Charles Baumann. Le bigarreau ‘Napoléon’ et la noisette ‘Merveille de Bollwiller’ sont dus à ces jardiniers pépiniéristes. Eugène Baumann (1817-1869) dessinera même les plans de Central Park ! Au milieu du dix-huitième siècle, les pépinières Baumann étaient la principale activité économique de Bollwiller. Au début du dix-neuvième, le château fut racheté par des industriels qui construisirent une filature sur les communs et une partie des jardins. L’endroit est désormais le siège d’un Institut médicopédagogique.

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